L’innovation en matière de compliance : entre opportunité et dérive
L’Autorité bancaire européenne (EBA) a récemment publié un communiqué d’alerte sur les risques accrus de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme (LCB/FT) générés par une utilisation imprudente des outils technologiques innovants dans les dispositifs de conformité. Si l’innovation – notamment dans les secteurs Fintech et Regtech – est perçue comme un levier d’optimisation, l’EBA rappelle que la technologie n’est pas une garantie de conformité en soi, et qu’une gouvernance rigoureuse reste indispensable.
Les technologies concernées : IA, automatisation, biométrie… mais à quel prix ?
Les outils visés par l’EBA incluent les solutions basées sur l’intelligence artificielle, l’automatisation des contrôles KYC/AML, la vérification d’identité à distance, l’analyse comportementale ou encore l’utilisation de blockchain pour la traçabilité. Ces outils, s’ils sont mal configurés, mal surveillés ou adoptés sans réflexion stratégique, peuvent créer des failles majeures dans les dispositifs de lutte contre la criminalité financière.
L’EBA pointe notamment :
- une dépendance excessive aux algorithmes opaques,
- un manque d’évaluation des biais dans les modèles,
- une absence de supervision humaine suffisante.
Fintech : un secteur agile, mais exposé
Les Fintech sont en première ligne. Leur agilité technologique et leur croissance rapide s’accompagnent souvent de cadres de gouvernance encore en construction. L’intégration d’outils automatisés de compliance ne peut pas remplacer une analyse de risque structurée, humaine et contextuelle. L’EBA insiste sur le fait que l’innovation doit s’intégrer dans une stratégie globale de conformité, et non agir en substitut aux fondamentaux réglementaires.
L’erreur à éviter : confondre automatisation et délégation de responsabilité
L’un des messages clés de l’EBA concerne le risque de transfert implicite de responsabilité. Certaines entreprises considèrent, à tort, que l’utilisation d’une solution Regtech suffit à “couvrir” les obligations réglementaires. Pourtant, en cas de contrôle ou de défaillance, la responsabilité juridique reste entièrement portée par l’établissement. Il est donc essentiel de documenter les choix technologiques, de tester les outils, et de maintenir un contrôle humain direct sur les processus critiques.
Compliance et innovation : équilibre à trouver
L’innovation technologique peut et doit être un levier de performance pour les dispositifs AML/KYC. Mais cela suppose une approche exigeante :
- Évaluer les outils sur la base de scénarios de risques réels,
- Mettre en place une traçabilité des décisions automatisées,
- Intégrer la technologie dans une politique de conformité supervisée et évolutive.
Chez Montaigne Executive Advisory, nous constatons que les solutions innovantes fonctionnent bien lorsqu’elles sont adossées à une gouvernance robuste et à des équipes formées, capables de comprendre les limites et les biais potentiels des outils utilisés.
Le rôle de la fonction conformité : arbitre et pilote de l’innovation
Face à la montée en puissance des technologies dans les métiers du contrôle, la fonction conformité évolue.
Elle doit désormais :
- jouer un rôle de vigie technologique
- évaluer les risques liées aux outils autant qu’aux clients,
- proposer des scénarios de validation ou de suspension automatisées en cas d’alerte.
Cela implique aussi une montée en compétence continue des équipes sur les aspects technologiques, éthiques et juridiques de l’automatisation.
Conclusion : innover sans négliger l’éthique et la responsabilité
L’alerte de l’EBA est claire : les outils technologiques innovants peuvent renforcer la lutte contre la criminalité financière, à condition qu’ils soient déployés avec rigueur, supervision et évaluation constante. Pour les Fintech comme pour les institutions plus traditionnelles, l’enjeu est de bâtir une compliance augmentée mais maîtrisée, où l’innovation reste au service de la conformité, et non l’inverse.