La « travel rule » à l’épreuve : entre ambition européenne et défis pratiques pour la conformité

crypto-actifs MiCA, AMLR, AMLD6 et AMLA

Publié le 22/08/2025

Rédigé par Johnny ANTUNES

 

La Travel Rule s’impose aux crypto-actifs en Europe

L’Union européenne a adopté en 2024 un ensemble de textes ambitieux en matière de lutte contre le blanchiment. Parmi eux, le règlement (UE) 2023/1113, dit TFR 2, qui transpose la travel rule aux crypto-actifs. Cette règle, issue du GAFI, impose la transmission des informations sur l’expéditeur et le bénéficiaire pour chaque transfert. Elle permet d’aligner les crypto-actifs sur les paiements traditionnels et de combler une zone grise souvent exploitée.

 

Les crypto-actifs soumis à une traçabilité renforcée

Le dispositif impose des obligations fortes. Contrairement aux fonds classiques, les transferts en crypto ne bénéficient pas de seuil général. Seule exception : les adresses auto-hébergées, avec un seuil de 1 000 euros. Des contrôles automatisés, des procédures fondées sur les risques et des signalements systématiques des anomalies sont exigés. Les Orientations de l’EBA renforcent encore ces obligations en exigeant des tests réguliers et des mises à jour continues des procédures internes.

 

Une articulation réglementaire cohérente : MiCA, AMLR, AMLD6 et AMLA

Le TFR 2 ne se limite pas à un texte isolé. Il s’articule avec MiCA, qui encadre les acteurs et services crypto. Il complète aussi l’AMLR, qui fixe des obligations de vigilance, et l’AMLD6, qui organise la coopération entre autorités et cellules de renseignement financier. À partir de 2026, l’AMLA supervisera directement certains établissements à haut risque et utilisera les prescriptions du TFR 2 comme référence. L’édifice européen repose ainsi sur un triptyque clair : MiCA pour les acteurs, AMLR pour la vigilance, TFR 2 pour la transparence opérationnelle.

 

Interopérabilité : le maillon faible de la mise en œuvre

La mise en œuvre pratique soulève pourtant de sérieuses difficultés. Les virements bancaires s’appuient sur des standards comme SWIFT ou SEPA, mais les blockchains sont hétérogènes et souvent incapables de transporter toutes les données. Une période transitoire jusqu’en juillet 2025 autorise l’usage de solutions hybrides, via API ou canaux hors-chaîne. Mais au-delà de cette date, seule la transmission complète sera admise. L’expérience de la DSP2 rappelle que ce type de déploiement technique entraîne régulièrement des retards et nécessite une coopération poussée entre acteurs pour définir des standards communs.

 

Entre obligation de résultat, RGPD et risque de « de-risking »

Sur le plan juridique, le TFR 2 accroît considérablement les obligations. Toute transaction incomplète doit être justifiée. Les contreparties défaillantes doivent être signalées. Les déclarations de soupçon doivent être transmises à TRACFIN. La jurisprudence de l’ACPR et du Conseil d’État rappelle que la LCB-FT repose sur une obligation de résultat : les contraintes techniques ne peuvent servir d’excuse.

Ces exigences entrent cependant en tension avec le RGPD. Les données relatives aux transferts doivent être conservées pendant cinq ans, prorogeables. Les établissements doivent démontrer la proportionnalité de ces traitements, réaliser des analyses d’impact et garantir l’effectivité du droit à l’effacement.

Un autre risque se profile : celui du de-risking. Face au coût élevé de la conformité, certaines institutions préfèrent rompre avec des catégories de clients jugés trop risqués, plutôt que d’investir dans leur suivi individuel. Ce phénomène menace à la fois l’inclusion financière et l’efficacité de la surveillance.

 

 

Conclusion : de la contrainte technique à l’opportunité de gouvernance

Finalement, l’Union européenne a posé un cadre cohérent et complet. En étendant la « travel rule » aux crypto-actifs, elle ferme une brèche réglementaire majeure et renforce la transparence des flux. Mais son application opérationnelle demeure un défi. Interopérabilité technique, coûts de conformité, tensions avec le RGPD et risque de de-risking sont autant de points critiques. L’efficacité du dispositif dépendra de la capacité des acteurs à transformer cette contrainte en opportunité de confiance et de gouvernance.

 

 

Johnny ANTUNES Consultant Expert en Conformité

 

Johnny ANTUNES

Consultant Expert en Conformité

 

 

 

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